Après une matinée paisible, on file pour la gare routière, direction l’aéroport. La gare routière, c’est l’endroit d’où partent les bus, sauf le nôtre : on y achète le ticket, et quand c’est presque l’heure, une hôtesse nous emmène au pas de course à travers la gare vers un arrêt à 400 mètres de là… La gare était climatisée, le trottoir ne l’est pas, dommage.

Trajet habituel, les gars demandent à être arrêtés au milieu de nulle part, on dépasse le circuit du GP de Malaisie, et juste après, l’aéroport. Embarquement retardé, pas grave, on sort sur le tarmac pour marcher looongtemps vers l’avion. On croise un débarquement d’un pays du Golfe quelconque, pas mal de couples avec mec looké touriste russe à Nice, et Madame en burqa, avec pour les plus prudes une paire de lunettes type lunettes de ski. Ils vont être beaux, les maillots du new PSG. Je fais une réflexion à Sofia, comme quoi la burqa est un peu le point ultime du féminisme, toutes pareilles, aucune différence, pas de critères de beauté.

C’est un peu Air Asia Airport, à KL-LCCT. Tout est siglé, mais absolument tout, de la petite bouteille de flotte au petites voitures qui transportent les bagages, c’est impressionnant.

Voyage sans problème, petit saut de puce d’une petite heure, à peine le temps de remplir les demandes de visas et la déclaration comme quoi on n’importe ni singe enragé, ni armes à feu, ni pornographie, et on atterrit dans un petit aérodrome de campagne, à Medan. Sofia a réservé une voiture privée pour rejoindre le village où nous avons loué une chambre, le gars nous attend avec une pancarte où on reconnaît difficilement nos prénoms (quelque chose comme « Sofi iSevom »). On l’ignore, on passe l’étape des visas (20 euros, bang !), de la prise d’empreintes et de photos. On a pas le droit de coucher dans la même chambre si on est pas marié, donc quand le gars nous demande « girlfriend ? », on répond bien en chœur, Sofia « no, just friend », moi « no, my wife ». Pas louche du tout, le Prix Nobel en face nous répond « oh, I think girlfriend », et nous laisse filer vers… des rayons X. On en a eu au décollage, mais c’est pas grave, on a peut-être fait une escale pour fabriquer un flingue, on ne sait jamais.

Si on a ignoré le gars à la pancarte, c’est parce que je voyage avec une Marocaine. Elle a négocié au téléphone le prix de la voiture, mais elle veut quand même vérifier qu’elle ne peut pas négocier encore moins cher avec un taxi de la gare… Finalement non, on revient vers le gars avec un grand sourire « did no see you » (le hall est grand comme un terrain de basket, hein), il nous emmène vers un endroit au bord de la route et nous demande d’attendre, le temps d’aller chercher la caisse. Sofia a repéré un petit comptoir d’information pour touriste, elle en profite pour se renseigner sur la suite du voyage, et je la vois revenir suivi de deux backpackeuses toutes blanches, l’air perdu, sans doutes les deux seules autres occidentales du coin. Et les trois sont suivis par un gars en costume de taxi (oui, ici ils ont des costumes, c’est pratique, en France, à part le Parisien et Bilto sur le siège passager…), l’air furax. Les deux nanas sont francophones, elles ont entendu Sofia et moi parler français et du coup aimeraient bien partager notre voiture, d’autant plus qu’on va au même coin. Mais le taxi qui les a alpaguées ne l’entend pas de cette oreille. Il n’est pas content du tout et le fait savoir, y compris à notre chauffeur qui se repointe sur ces entrefaites. On essaie de négocier, mais rien à faire, ils se tiennent les coudes. Les oies blanches repartent donc dépitées avec le gars, qui un peu comme tous les moustachus locaux a la tronche de Danny Trejo, en moins gentil.
On embarque, voiture climatisée et confortable, cool, chauffeur un peu anglophone (il l’a tout de suite moins été quand il a fallu discuter avec les oies blanches, étrangement), sauf que 2 km plus loin, il s’arrête dans un dépôt et passe le relais à un autre trapu, qui lui ne parle qu’indonésien, et visiblement a du mal à faire monter ses lèvres au-dessus de son menton. Nous voilà repartis… 2 heures pour sortir de Medan, qui n’est pas une énorme métropole, ça vous donnera une idée du bordel absolu que constitue la circulation ici. Si la Malaisie nous avait fait l’impression d’un maelström automobile, nous venons de passer à l’Armageddon. Ici, le code de la route, en-dehors des feux de circulation n’a plus aucune espèce d’importance. C’est à qui force le passage le mieux, le plus vite, le plus fort. L’Indonésien conduit à l’oreille. Il se déporte sur la droite en accélérant tant qu’il n’entend pas de klaxon, puis fait pareil à gauche. Sans oublier de klaxonner lui-même pour signaler à un scooter qu’il est déjà en train de lui renifler le derrière.

Encore plus de deux-roues qu’à KL, et des espèces de tuk-tuk (bemo), une nacelle accrochée à la Motobécane pouvant transporter deux personnes. C’est amusant de voir, au milieu de ce tsunami mécanique, des nanas toutes apprêtées en train d’envoyer tranquillement des SMS, sans se soucier de rien. Confiance, les meufs. Surtout que parfois, tu te fais dépasser par des trucs tous droits échappés de Mad Max, home made.

Routes très paradoxales. Le plus souvent très bien carrossées, mais parfois de gros nids de poules qui oblige le chauffeur à se déporter sur le file de droite, de l’autre côté de la ligne blanche (en n’oubliant jamais de klaxonner). Et parfois de vrais champs de patates, quasiment inutilisables. Tout ça sur la même route.

Le paysage va défiler pendant près de 5 heures, pour un trajet supposé en faire deux et demi. Au début, je regarde surtout la circulation, le spectacle est devant et derrière, et parfois sur les côtés quand des vendeurs à la sauvette viennent pleurer à ta fenêtre aux feux rouges. Mais au bout d’un moment, je me concentre sur le bas-côté. Des échoppes de bouffe tous les 10 mètres, même très très loin en banlieue. Des mosquées tous les 50 mètres. Je savais que c’était le plus grand pays musulman du Monde, la petite scène à la douane me l’avait rappelé, mais là… elles sont pour la plupart vides malgré le fait que ce soit l’heure de la prière (ici, les minarets ne sont pas décoratifs, ils sont aussi là pour soutenir de puissants haut-parleurs). Et au bout d’un certain temps, presque uniquement des habitations, avec très souvent un tout petit coin épicerie.

La maison indonésienne, ici à Sumatra (je vous avais pas dit qu’on était à Sumatra, peut-être), est très souvent construite sur le même modèle : un salon en L qui ouvre sur l’avant, avec bien en vue en face de la porte une énorme télé toujours allumée, une terrasse sous auvent avec un canapé, et tout le monde assis dessus à regarder ce qui se passe sur la route. Qui regarde la télé, mystère. Sans doute un fond sonore ou un truc pour se la péter, j’sais pas. Ça m’a rappelé certains coins du Lot-et-Garonne…

Quelques centaines de points de permis virtuellement perdus plus tard, nous arrivons au village. La voiture ne va pas plus loin, je salue le chauffeur, il ne sourit toujours pas, fait juste un thumbs up. Ouais, thumbs up mec…

La guest House a envoyé un guide nous chercher, il reste 10 minutes de marche, si vous imaginez un truc paumé, déchantez, le chemin n’est peut-être pas carossable, mais il est bordé de trucs touristiques. C'est Boutique Lawan, ce bled, en fait. Nous sommes accueillis à la guest House par une nana énorme, qui a des difficultés à se mouvoir. Dans l’espace commun, alanguis sur des poufs, une Européenne de 45-50 ans et un local qui n’a pas plus de 25 ans. Un peu plus loin, jouant aux cartes, même schéma avec un Européen. Toujours avec un local. Le tout nous dévisageant. Tout cela nous met mal à l’aise, nous prenons une chambre avec douche (ce qui n’était pas prévu), et le guide nous emmène dans le plus vil trou à rats que j’aie vu de ma vie. Sale, mais sale… On dépose nos affaires, trop crevés pour faire autre chose, et on continue sur le chemin pour rejoindre la guest house du gars que nous avons réservé pour faire un trekking de deux jours le lendemain. On règle les détails, on sera avec un couple d’Allemands, ça fait un peu peur, mais bon… Le plus urgent est de trouver une chambre de remplacement, d’autant plus qu’il est tard et qu’on a toujours pas dîné… Après plusieurs tentatives infructueuses, on finit par trouver une chambre très sommaire, mais propre. Ici, se loger ne coûte quasiment rien, maximum 5 euros pour une chambre correcte avec douche et WC.

La baleine veut qu’on paie la nuit, hors de question, on règle le taxi et on dégage vite fait. Affaires déposées (la nouvelle chambre est en haut d’une trentaine de marches de 25 cm chacune, à flanc de colline), on marche une bonne demi-heure pour trouver un truc à bouffer. On traverse un pont du style de ceux qu’on retrouvait sur les pubs de clopes au dos des romans de série noire dans les années 70 pour rejoindre le seul resto encore allumé, et se faire servir un plat de nouilles lyophilisées avec un morceau de poulet dur comme tout. Pas grave, on a faim et les jus servis avec sont bons, pressés sur place… Retour à la guest-house, demain trekking, dodo tôt. Dodo mal aussi, les lits locaux sont prévus pour petit Purs, maman Ourse, maximum. Papa Ours dépasse…