Pfiou. Nuit courte, bouquin fini, levé tôt. On fait les comptes, et je ne retrouve pas 165 RM que j’avais mis de côté pour régler la guest-house. Je retourne la chambre de fond en comble, nada. Bon…

Sofia veut donc aller faire du kayak. Elle n’en a jamais fait, ni en rivière ni en mer. Moi, mes dernières expériences remontent à la fin de ma 3ème. Bon… Je renâcle, Sofia insiste, elle en a envie, ok, on enfourche les vélos et c’est parti, comme le chantait si douloureusement Nadiya.

On trouve un gars avec une tronche à jouer un benêt dans Oz, qui nous fait deux heures à 30 RM. On enlève les chaussures, on enfile les gilets de sauvetage et nous voilà partis. Ça cafouille un peu au début, je suis derrière, jambes trop longues (je ne suis pas aux normes de l’Asie du Sud-Est, question taille) genoux dans les gencives. Je retrouve mes réflexes vieux de 20 ans, pour diriger et pagayer efficacement. Bon !

A ce stade, il faut décrire un peu la côte. D’ouest en est. Notre point de départ, le camp de base. Une petite pointe, avec derrière une belle bande de sable colonisée par de rares Occidentaux et un paquet de Chinois qui attirent les singes. Concluez-en ce que vous voulez. Bref, après cette plage, une autre pointe, beaucoup plus longue, coupée en deux, c’est rochers/passage d’eau/rochers. Cette précision aura son importance par la suite. Et ensuite l’inconnu…

On dépasse donc la première pointe, et au bout de la seconde on voit sur la côte un petit ban de sable inoccupé. Chouette, nous disons-nous in petto entre deux coups de rames dans le crâne de l’autre. Let’s go. Plus on se rapproche, plus on découvre des signes d’occupation, finalement. Singes femelles tondues, étoiles jaunes sur le front des cochons sauvages (le même genre que chevauche Crash Bandicoot)... Houboudagah ! En fait une tente et une cabane en dur, et un panneau sur lequel un autochtone explique qu’il fait des virées ici pour qui le paie suffisamment. Effectivement, quand on accoste, les reliquats de fiesta attestent de la passion des touristes pour ce coin, et parallèlement pour l’alcool apacher. Heureusement, personne n’est là en ce début d’après-midi. Bon, marée montante, cool, on met nos vêtements et serviettes à sécher sur les rochers. Et on va se baigner, seuls avec l’océan et un œil sur la côte quand même (« monkeys do silly thing laaaaa hin hin hin» nous a dit le loueur qui possède sur – pas entre, sur- ses incisives un trou taillé à la cigarette.)

Le temps passe, la marée monte, on va chercher les affaires sur les rochers pour les mettre dans les arbres, on va ensuite dans l’eau pour noyer les fourmis qui profite de cette chair exotique pour attaquer, l’aventure, mec ! Un peu de baballe (on a apporté de France balle et raquettes de plage, pas le pastagua, mais pas loin), Sofia se rebaigne, et l’eau montant sérieusement, on décide de décoller.

Dans Seul au monde, Tom Hanks essaie de passer une barrière de corail qui le rejette systématiquement vers sa côte, fêlé. Ce matin, ce fut la simple marée montante qui joua ce rôle. Première tentative, Sofia monte dans le kayak, moi pas. Retour au bord, on vide l’eau qui est au fond, un sacré paquet, faut retourner tout le bidule…bon… Seconde tentative, moi dans l’eau, on passe la (petite) barrière de vagues, problème, je ne peux pas monter, trop loin, je vais faire chavirer le kayak… Sofia prend les rames, et moi je nage. Avec le gilet et les Ray-Ban sur le nez, je nage jusqu’à la grande pointe rocheuse. 600 bons mètres, Sofia contourne avec le kayak, la mer est un peu houleuse, on se voit de temps à autre. Je rejoins la bande d’eau entre les deux rochers (je vous avais dit que ça serait important !), on se perd de vue, et moi je perds pied : des rochers qui affleurent me niquent la peau des jambes, pendant que j’essaie de reprendre pied pour rejoindre la côte. Comme je peux, je traverse le petit isthme et arrive sur une petite plage au milieu de la jungle. Coup de bol, y’a un moustachu local qui prend le soleil. Il me regarde stoïquement me casser deux fois la gueule sur des rochers glissants avant de me demander mon gilet de sauvetage, en me montrant le bout de la pointe rocheuse.

Merde, il se passe quelque chose, je ne vois pas Sofia ressortir, et j’entends siffler. Deux bateaux à moteur foncent vers la pointe rocheuse, ce ne sont pas des bateaux dédiés aux secours, il y a du touriste malais dessus. Un autre moustachu se matérialise devant moi, surgi d’on ne sait d’où, peut-être une génération spontanée luxuriante. Il me désigne la pointe de l’île en me disant « go back, go back ! ». J’ai un temps envie de lui répondre que je ne suis pas un Tunisien sur une plage italienne, que ça va bien, non mais oh !, mais il n’a pas l’air de rigoler. Un gros rocher me cachant la pointe rocheuse, qui lui voit parce qu’il est en hauteur (hauteur que je ne peux pas atteindre, il a des chaussures, moi pas…), je réenfile mon gilet et me résigne à refaire les deux centaines de mètres pour aller voir ce qu’il se passe à la nage. Je salue mes « sauveurs » par une nouvelle glissade sur un rocher caché, et repart vaille que vaille au bout de la pointe rocheuse. Quand j’arrive, j’embrasse la scène d’un coup d’œil et comprends ce qui s’est passé. Le kayak est retourné, Sofia hurle aux deux bateaux « where is my husband ? where is my husband ? ». On est pas mariés, mais elle se voit mal gueuler « where is my life-living partner ? » et elle a bien raison, d’autant plus qu’elle a été élevée dans la religion musulmane, et que là-bas ils rigolent moyen avec ça, les couples mixtes non mariés.

Bref.

Elle éclate en sanglots quand elle me voit, qu’elle comprend que je vais bien. Ne me voyant plus, elle a eu la trouille que je me sois fait bouffé, ou bien dragué. Elle m’explique en rejoignant la côte par le chemin que je viens d’emprunter en sens inverse (re 200 mètres…) qu’avec les vagues latérales, le kayak n’arrêtait pas de récupérer de la flotte (pas de jupe, fallait s’en douter), et qu’il avait fini par se retourner, lui laissant juste le temps de virer ses cannes avant d’être coincée en-dessous. Bon, là, je commence un peu à fatiguer. De la nage, pas de son histoire. On arrive épuisés sur la petite bande de sable au milieu de la jungle. La génération spontanée a disparu, sans doute bouffé par un touriste chinois, ne reste que le premier gars, sympa et sincèrement désolé pour nous.

Pendant ce temps-là, les « sauveteurs » ont récupéré les rames et notre sac, et sont repartis aussi sec (eux). Les touristes a bord n'ont pas arrêté de filmer toute la scène au caméscope, the next youtube star sera Marocaine ou ne sera pas. Bon…Nous, on se pose deux minutes avant de rejoindre la plage à touriste par un petit chemin qui longe la côte, guidé par Moustache Sympa qui se débrouille pas trop mal en anglais. On voit au large passer le loueur de kayak en hors bord, qui nous cherche du regard. On avance sur un promontoire pour agiter les bras, il nous voit et vire de bord. On rejoint la plage à touristes, il accoste et nous embarque. Nous saluons Moustache Sympa en le remerciant, et hop, nous voilà partis à fond sur les vagues, pas bien rassurés quand même par la conduite sportive du gars. D’autant plus qu’il fait soudain demi-tour et nous ramène en direction de la pointe rocheuse… Il va nous faire payer notre imprudence en nous faisant refaire tout le périple, ou quoi ? Non, il a juste repéré pas loin le kayak qui dérive, et l’amarre au canot. Tant mieux, avec le poids il avance beaaaaucoup moins vite, et je préfère ! C'est que ça pèse un âne mort quand c'est rempli d'eau, ces merdes. Tiens, on ralentit…le moteur cale… bon...pas moyen de le relancer…on se retourne, le gars a l’air gêné, il essaie de redémarrer, mais ça marche pas. Il tripatouille une espèce de compteur Geiger, et au bout de deux minutes, ça repart péniblement. Poissards, bon Dieu, poissards !

Bon, finalement, on finit par arriver en vue du camp de base, les potes du loueur dont Trou de Clope nous rejoignent en hors-bord pour récupérer ce qu’il faut bien appeler une épave, tandis que nous, qui ne sommes pas plus fringants, avons droit à l’arrivée traditionnelle d’un hors-bord sur la plage, c’est –à-dire : on s’approche doucement pour se mettre bien face à son point d’arrivée, ensuite à fond les gamelles pour choper la bonne vague, et on ne freine pas, on soulève juste le moteur quand la coque touche le sable. On les avait vus faire avant, on savait ce qui allait se passer, mais ça fout quand même les chocottes, ça arrive super-vite et ça ralentit super-fort.

Les acolytes reviennent avec le bateau. On pensait se faire engueuler sur l’air du « cons de touristes, si tu te moques de la mer, la mer se moquera de toi », en fait c’est tout le contraire qui se passe. En France on te fait payer l'hélico si tu fais du hors-piste, ici y'a pas de hors-piste. Faut dire qu’au départ, le gars n’a rien vérifié, ni si on savait faire du kayak, ni même si on savait nager, ne nous a donné aucune indication sur la façon de repartir seuls par marée montante, nous a filé des gilets sans sifflets, bref il est pas prêt de bosser à Chasse-Marée, le coco. Donc ils s’excusent, ne veulent pas nous faire payer, on leur fourre un billet de 50 RM d’autorité dans les mains. Ils me soignent mes écorchures, avec une décoction d’algues (« good, good, from the sea », ouais, on l’adore the sea à cet instant précis), on se casse aussi vite qu’on peut, passage par le mini market pour acheter de quoi picoler et bouffer sa mère, ainsi qu’un vrai antiseptique, et retour à la guest-house. En allant chercher le déjeuner, Sofia crève le pneu arrière de son vélo. Bon… Une bonne sieste, et ça va un peu mieux. Je me suis soigné, quelques écorchures pas méchantes, une écharde dans un doigt. Sofia a un énorme bleu sur l’arrière d’une cuisse, mais sinon ça va

. Bilan de la journée. Deux Ipods et un appareil photo qui étaient dans le sac foutus, carte mémoire comprise. On va les filer à un réparateur à KL, mais je ne me fais pas trop d’illusions. Quelques bobos sans gravité, à part un petit morceau de bidoche qui est allé nourrir les poissons en laissant ma main gauche orpheline. Et surtout une grosse frayeur l’un pour l’autre. Sofia sur le coup, moi rétrospectivement, en l’imaginant coincée sous le kayak avec son gilet de sauvetage… J’ai cru comprendre qu’on était invités à vie chez le loueur de kayak (« good you are ok, else the poliiiiiice, many papeeeers, not good hin hin hin »). Pas certain qu’on va y regoûter de sitôt, toutefois. Surtout qu'il nous a dit que ne nous voyant pas revenir, il s'est demandé si on ne s'était pas fait attaqué par un requin, il paraît qu'il y en a des fois dans les parages. C'est cool, j'ai bien saigné dans l'eau, je préfère n'avoir eu cette information qu'après coup, en fait...